samedi 25 septembre 2010

"L'instant de la liberté" Jens Bjørneboe

"Ah ! Ce peuple le plus énergique, le plus puissant et le plus dément d'Europe, ce peuple qui ne craignant le mensonge voudrait nous faire croire que c'est le nazisme qui a dévoré six millions de juifs, et qui maintenant essaie de convaincre le monde que c'est une abstraction, et pas eux les Germains qui les ont massacrés, que les juifs furent assassinés par une représentation de l'esprit, une idéologie, et par des êtres de chair et de sang, pas par ces mêmes Schulze, Meyer et Beck qui ne manqueront pas de nous manger une fois encore. Il va falloir, d'une façon ou d'une autre, que je me résolve à commencer par le commencement, bien qu'il n'existe pas de commencement.
Commencerons-nous dans un bordel de Hambourg ?
Ou dans la maison de Goethe à Weimar ? Avec Hölderlin ou avec Julius Streicher ? Je suis en droit de faire l'un et l'autre, car nul n'a autant aimé la Germanie que moi. Encore aujourd'hui personne n'aime autant que moi ce pays. Si je vis dans cette vallée des Alpes, ce n'est peut-être que pour avoir la Teutonie à ma portée, dans mon horizon. Il n'y a pas de pays au monde où tout ne soit à vendre comme en Germanie. Pas un coin du globe où tout ne soit qu'argent comme en cette contrée. C'est un pays des carnets de chèques et des billets de banque, celui où l'on spécule sur sa mère, où tout n'est que commerce. Où tout n'est que maison de passe.
Plus j'ai appris à connaître la Germanie, plus j'ai été convaincu de la nécessité d'une Allemagne de l'est.
Après leur mort, les Allemands descendent en RDA.
La RDA est la mauvaise conscience de l'Allemagne".
Extrait de "L'instant de la liberté" pages 39 et 40 
 
Jens Bjørneboe, écrivain norvégien, né le 9 octobre 1920 à Kristiansand, s'est suicidé le 9 mai 1976 à Veierland in Nøtterøy (Norvège). Après avoir entrepris de sonder les ténèbres de notre histoire, l’alternative pour fuir les percées de la civilisation, semble nous dire Bjørneboe, reste la fuite ou la mort...
Il s'identifie comme un anarcho-nihiliste. En 1943, il partit en Suède pour éviter le travail forcé. Durant cet exil, il a rencontré la peintre juive allemande Lisel Funk qui devint sa première compagne. Il traque dans son oeuvre, belle et funeste, la figure du mal, il expose la grande marche de l'humanité et les déboires individuels et collectifs qu'elle laisse sur son passage. 
Sa première publication fut "Dikt" (recueil de poèmes) en 1951, puis "Jonas" (histoire d'un élève dyslexique brutalisé par le système scolaire norvégien qui trouve refuge dans une école "Steiner") en 1955 et "Le rêve et la roue" (pages sombres et convulsives d'une saga familiale où l'insidieuse noirceur de notre temps laisse peu d'espoir à une rédemption par la beauté) en 1964 ; Bjørneboe s'impose par ses romans très critiques contre la société, l'autorité et toute forme d'oppression, parmi ceux-ci une trilogie, "Histoire de la Bestialité" dont "L'instant de la liberté" est le premier volet.  
"L'instant de la liberté", expression empruntée à la tauromachie, trace la ligne de démarcation entre le rituel artistique et le bain de sang dans lequel va agoniser l'animal. Et c'est bien un va-et-vient continuel entre ces deux pôles qui obsède le narrateur, sorte d'archiviste des horreurs de l'humanité : l'homme a finalement remplacé la bête.
À la répulsion fascinée envers le nazisme, entre autres, répond une longue errance en "pays de Chaos".
Roman largement autobiographique et d'un réalisme forcené, étonnant bréviaire des atrocités de guerres, des tortures nazies et de toutes formes de cruautés.
“De toute ma vie je n’ai presque aucun autre souvenir que meurtres, guerres, camps de concentration, tortures, esclavage, cités bombardées, cadavres d’enfants à moitié brûlés.”  

Écrivain polémiste, anarchiste, il fut un virulent défenseur des opprimés, montrant une haine viscérale envers l’Etat.
"L'instant de la liberté" roman traduit du norvégien par Charles Aubry aux éditions Plein Chant - collection de l'atelier furtif

"Le rêve et la roue" mêmes traducteur, éditeur et collection.
Les éditions Plein Chant en Charente sont spécialisées sur la littérature prolétarienne et propose, entre autres, pour la Scandinavie : "Les oiseaux" du norvégien Tarjei Vesaas, "Une histoire de corde" du finnois Veijo Meri et "Qui s'occupe encore d'Yngve Frej?" du suédois Stig Claesson. 
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Faussement documentaire, Le Rêve et la roue du Norvégien Jens Bjørneboe traque la figure du mal et les dégâts de l'industrialisation au pays des lutins et des fées. Funeste et beau.
Le Rêve et la roue
Jens Bjørneboe

Traduit du norvégien
par Charles Aubry
Plein chant (16120 Bassac)
267 pages

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