mardi 11 mai 2010

Manolis Glezos


"La seule chose qui ait été envoyée en Grèce par l’Ouest, c’est la police"

 

Figure emblématique en Grèce, Manolis Glezos, résistant contre l’occupant nazi puis contre les colonels explique son engagement et son point de vue sur la situation que vit actuellement la Grèce. « Quand une ville est construite par des citoyens qui exercent eux-mêmes la politique, le résultat est la civilisation »
Figure emblématique en Grèce, Manolis Glezos a fait la Une des journaux lorsque, le 5 mars, il est intervenu, devant le Parlement grec, pour demander à la police de calmer ses ardeurs contre les manifestants. Il a été aspergé de gaz lacrymogène. Lui, le premier résistant grec, qui est monté au sommet de l’Acropole le 30 mai 1941 pour dérober le drapeau nazi que l’occupant allemand avait installé, a pourtant passé sa vie à défendre la démocratie, contre le nazisme, contre la dictature des colonels, en s’appliquant à développer la démocratie participative sur son île natale, Naxos, et en échafaudant un système social qu’il voudrait juste et respectueux de tout un chacun. Il a reçu l’Humanité Dimanche pendant deux heures, pour expliquer son engagement et son point de vue sur la situation que vit actuellement la Grèce. Entretien.
A quoi pensiez-vous, en 1941, lorsque vous avez décroché le drapeau nazi de l’Acropole ?
Je ne veux plus parler de cette histoire de drapeau ; Tout le monde se concentre sur cet événement avec le drapeau et surtout, certaines personnes veulent utiliser cet événement pour chercher de l’émotionnel. Certains souhaitent faire de moi une icône comme si je n’avais fait que ça puis plus rien d’autre. Comme s’ils voulaient détourner cet événement pour défendre leur propre cause. Je combats donc pour que cet événement en soit pas mythifié et exploité. En revanche, je vais vous parler de la cause de cette action et pourquoi elle a eu lieu ce jour là précisément. Nous avons compris que c’était inacceptable que l’Acropole soit polluée par ce drapeau alors qu’elle représente l’humanisme de tout l’Humanité. Ce drapeau nuisait à cette icône. Nous avons décidé de le descendre.
Pourquoi, alors, ce jour-là ? Le jour précédent, Hitler a abattu des résistants en Crète et il a fait un discours expliquant qu’il n’y avait plus d’ennemis contre les nazis en Europe, que l’Europe était libre ! Ce fut notre réponse à cette phrase. Nous voulions montrer que ce qu’il disait n’était pas la vérité et que le combat ne faisait que commencer.
Toute votre vie, vous avez été un résistant : contre le nazisme, contre la dictature des colonels. A votre avis, la démocratie a-t-elle existé dans la Grèce contemporaine depuis la chute du nazisme ?
C’est notre problème immense en Grèce et pas seulement le mien ! Toutes les organisations de résistance, et tous les combattants avaient les mêmes buts pour l’avenir et la même hiérarchie des buts.
Premièrement, ils voulaient la liberté. Deuxièmement, l’indépendance nationale – nous ne voulions pas rentrer sous la houlette des Anglais. Troisièmement, la démocratie comme régime – nous ne voulions pas entrer dans le régime de Metaxa qui était une dictature. Et quatrièmement, la justice sociale. Il n’y avait pas seulement la Gauche grecque qui voulait cela. Le sigle d’une des plus grandes organisations de résistance était Eka, ce qui signifiait : « libération nationale et sociale ». Ce n’était pas une organisation de gauche. Mais l’important était d’avoir une hiérarchie avec la liberté en premier lieu. Et les autres ensuite. Le peuple a combattu pour atteindre ce but.
Le premier a été atteint. Mais nous nous en sommes arrêtés là. Nous n’avons pas réalisé le deuxième… et avons a raté les autres buts. Et tous, nous avons contribué à les rater. La Gauche a la plus grande responsabilité parce que nous avons accepté qu’à la tête de toutes les forces militaires de résistance, ici comme à Chypre, ce soit des Anglais. Par cet acte, nous avons signé notre condamnation et il était trop tard lorsque nous l’avons compris. Ensuite, nous avons échoué dans tous les efforts que nous avons fournis. C’est pourquoi nous avons sombré dans une guerre civile qui était une erreur. Nous aurions pu l’éviter mais nous ne sommes pas arrivés à ce but… ni même aujourd’hui : nous sommes sous le régime de Merkel et de Sarkozy et d’Obama !
Qu’avez-vous cherché à construire tout au long de votre vie ? Que cherchez-vous encore à construire ?
Le premier but, c’est l’indépendance nationale. Mais les buts sont nombreux. Et il y a aussi la démocratie immédiate. C’est pour cette raison que j’ai accepté de devenir eurodéputé dans mon vilage où j’exerçais aussi la démocratie immédiate. C’est le seul cas d’exercice de la démocratie immédiate au cours des dernières années. La Grèce ancienne l’exerçait, et les communautés grecques pendant l’empire ottoman, la Commune de Paris, les débuts de la révolution des Soviets, pendant la guerre civile en Espagne, en Catalogne ; le dernier exemple, c’est mon village, dans une île, à Naxos. J’étais représentant des citoyens de ce village et j’ai demandé à mes compatriotes de m’élire pour exercer la démocratie directe. Mais je doute que plus de 5 personnes m’aient élu pour la raison que je souhaitais. Mais pendant des années, il y a eu des fervents supporters de la démocratie immédiate par ce qu’ils ont réalisé que c’est eux qui décidaient et pas moi. Et souvent, mes propos étaient rejetés. Je dirais que seuls 3 % des mes propositions ont été votées dans les assemblées du village. Et ils ne l’ont été que sur les sujets internationaux. Jamais pour les régionales.
En mars, vous avez été aspergé de gaz. A quoi avez-vous pensé alors ?
Le sujet, en fait, est quel est le rôle de la police et les moyens qu’elle utilise contre les peuples, contre les manifestants. J’ai demandé à rencontrer le policier qui m’a aspergé. Il est venu avec son supérieur. Il a juste 22 ans. Je voulais qu’il vienne avec son supérieur, celui qui a donné l’ordre. Mais il est venu avec un haut-gradé. Il était dans l’équipe spécialisée, du type des CRS en France. J’ai parlé avec eux et leur ai demandé s’ils comprennent quel doit être le rôle de la police. Ma philosophie est la suivante. Quand une ville est construite par des citoyens qui exercent eux-mêmes la politique, le résultat est la civilisation. Mais il faut expliquer exactement ce qu’est « polis ». Il y a plusieurs mots : « polis », « politis », « politiki », « politismus ». Ils ont la même origine. C’est l’ouest qui les a pris, y compris les français. Je ne sais pas qui sont les plus coupables, les Français, les Anglais ou les Allemands. Ils ont travaillé sur ces mots de grec ancien, très importants par rapport à cette terminologie. Ils ont voulu ajouter quelque chose à tout cela et ils l’ont fait en créant la police. La seule chose qui ait été envoyée en Grèce par l’Ouest, c’est la police. C’est l’instrument de la destruction des manifestations populaires. Mais ce n’est pas son rôle central. Son rôle est normalement d’être contre les criminels. Les policiers ne connaissaient pas cette terminologie, l’origine du mot « police ». Le deuxième sujet, c’est qu’ils n’ont pas le droit d’utiliser ces gaz qui sont même interdits entre deux pays en guerre. Il est pourtant utilisé en Grèce contre les manifestations, contre les peuples. Qui leur donne le droit ? En plus, les instructions disent qu’il ne faut pas les utiliser à une distance de moins de 30 mètres, mais la distance était de 30 cm. Il est aussi interdit de viser le visage, mais il faut l’envoyer à terre. Ils ont tout fait à l’envers. Nous sommes descendus du Parlement pour s’interposer entre les policiers et les manifestants auxquels la police s’attaquait. Leur chef savait que nous étions des députés - même si je ne le suis plus, en tant qu’ancien député, j’ai toujours le droit d’être au Parlement. C’est pour cela que je voulais que le chef qui a donné les ordres soit présent. Lui était là et savait que nous étions députés. J’ai dit au policier qu’il pouvait ne pas savoir pas que nous étions députés, mais je lui ai demandé s’il pouvait tirer sur un homme qui aurait pu être son grand-père. Il m’a répondu qu’il avait peur et que le policier à côté de lui l’a forcé avec son bouclier, le touchant au bras et que, pour cela, le gaz est allé sur le visage. Mais il a tiré trois fois et pas une seulement. Je l’ai cru en tout cas. Il a regretté. Certains journalistes ont déploré le fait qu’il ne m’ait pas reconnu devant le Parlement. Ce n’est pas le problème. Même si j’étais quelqu’un d’autre, un inconnu, ça ne lui donnerait pas le droit de m’attaquer. Ils pensent avoir le droit d’attaquer les citoyens. Et l’on revient au premier sujet, le rôle de la police. Je mène donc maintenant un combat pour interdire ces gaz.                     
          
Entretien réalisé par Fabien Perrier

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